LA CROISADE DES ALBIGEOIS ET LA NUMISMATIQUE

Posons la question de savoir ce qu'il en était de la frappe monétaire dans le comté de Toulouse et ses marches, durant la Croisade contre les albigeois.

Pour cela il est bon de rappeler les grands faits de cette Croisade, pour fixer les dates pendant lesquelles se pose ce problème.

Le début de ce que certains nomment la "tragédie cathare" se situe lors de la tenue du Concile cathare de St Félix du Lauragais en 1167, mais les événements ne débutent réellement qu'avec l'assassinat du légat du Pape, Pierre de Castelnau (ancien archidiacre de Maguelonne) le 14 Janvier 1208, prés de St Gilles, par un proche de Raimond VI, comte de Toulouse.

Raymond VI, excommunié, devant la réaction et le danger de la Croisade, fit savoir au nouveau Légat qu'il désirait se réconcilier avec l'Eglise. On lui demanda, en gage, de nombreux châteaux et surtout le comté de Melgueil qu'il avait acquis par mariage. Il dû se plier à une humiliante cérémonie de réparation, à l'abbatiale de St Gilles, le 18 Juin, pour prix de sa réconciliation avec l'Eglise.

Mais sous la pression du clergé, le Pape Innocent III se vit contraint de prêcher la Croisade contre l'hérésie le 9 mars 1208. Un premier siége eut lieu, devant Toulouse, du 16 au 29 juin 1211, qui fut un échec pour les Croisés. Renforcée par le roi d'Aragon, la coalition cathare fut néanmoins battue à Muret le 12 septembre 1213, Pierre d'Aragon tué, ouvrant ainsi la route de Toulouse à Simon de Montfort, qui pris les fonctions de comte de Toulouse le 7 mars 1216, à la suite des décisions du Concile de Latran, réunît par le Pape en 1215, pour tenter de faire cesser les hostilités et régler le conflit pacifiquement.

Soudain, le 13 Septembre 1217, Raimond VI rentre par surprise à Toulouse, et les croisés commencent un second siège. Montfort est tué le 25 Juin 1218, et le siège est définitivement levé le 1er août 1219. Raimond VI meurt en 1222. Son fils Raimond VII lui succède et en 1242 il se révolte contre les agents du Roi et de l'Inquisition : la Croisade se termine par la prise de Montségur en 1244 et de Quéribus en 1255.

Le monnayage des comtes de Toulouse, sous Raimond V, VI et VII se résume, depuis 1178, à celui des deniers et des oboles au type PAX

Les énormes quantités de monnaies de Toulouse qui ont été retrouvées s'expliquent par l'aire géographique considérable sur laquelle s'exerçait le pouvoir du comte (près de 17 de nos départements), la durée de frappe (de 1148 à 1249) et surtout par les immenses besoins du comté en argent pour soutenir la lutte contre la Croisade.

Le Concile de Latran, en novembre 1215, dépossède Raimond VI de ses terres au profit de Montfort qui n'y reste que 18 mois, du 7 mars 1216 au 13 septembre 1217, et qui semble n'y avoir frappé qu'une obole, retrouvée à un seul exemplaire, pour les besoins locaux (Dieudonné, Rev. Num. 1936, p. 317-326). Cette maille ou obole à un poids de 0,53 gr. eu un diamètre de 15,5 mm et porte à son A/ : SIMON COMES avec une Croix et au R/ +TOLOSA CIVI avec un grand A barré de barres croisées avec, au dessous, une croisette. Il y a, au revers, une nette réminiscence du type PAX, mais avec une différence suffisamment sensible pour que l'on ne soit pas accusé de se servir du même type que les hérétiques.

Le même Concile de Latran a vu le Pape Innocent III récupérer le comté de Melgueil. Pourquoi cette décision qui peut paraître surprenante. On a vu que le comté était devenu possession de Raimond VI par mariage, mais il était fief pontifical, sous la suzeraineté du Saint Siége exercée depuis l'hommage et le don qui lui avait été fait par le comte Pons en 1085.

La dépossession qui intervint le 18 Juin 1209, se fit donc, naturellement, au profit du Pape, qui, ne pouvant le régir lui-même, l'inféoda le 14 avril 1215 à l'évêque de Maguelonne, Guillaume d'Autignac. Or celui-ci, d'après les textes aux archives de l'Hérault, avait commencé à monnayer en 1211, donc directement sous l'autorité du Pape, au nouveau type melgorien bien connu.

La période d'utilisation de ce numéraire culmine dans la 1ère moitié du XIIIéme siècle, et les archives nous apprennent que l'atelier est en vacance après 1247, ce qui correspond à peu prés à la fin des grandes opérations militaires de la Croisade.

Comment expliquer qu'un évêché, ne disposant somme toute, que de faibles ressources qui ne provenaient que des revenus des salines, des droits de pêche dans l'étang marin et des droits de péages sur les graus, ait pu disposer de la masse de métal précieux nécessaire à la frappe des milliers de monnaies qui ont été retrouvées et qui place Melgueil en bonne position dans l'importance des trouvailles et trésors de la première moitié du XIIIème siècle, s'il n'y avait pas eu apport par le Saint Siège pour le financement de la croisade.

On constate qu'en 1211 un nouveau type apparaît sur les monnaies des évêques de Maguelonne : il s'agit d'un pal, accosté de deux mitres ou de deux pennons; c'est ce type que l'on retrouve sur les sceaux des évêques de Maguelonne. Si l'on se place dans l'esprit du temps, où l'écrasement de l'hérésie ne pouvait plus être que militaire, il semble qu'il faille y voir des pennons. Par ailleurs, aucun évêque de Maguelonne n'a jamais mis son nom sur les deniers de type melgorien : ce pourrait être une preuve que le type choisi devrait se rapprocher suffisamment du type narbonnais (Narbonne n'avait jamais vraiment pris parti pour ou contre la Croisade) pour que la circulation en soit facilement acceptée, mais avec des différences suffisamment sensibles pour être identifiées par les Croisés.
La date de 1211, début de la frappe au nouveau type, correspond au début du second effort de conquête de Simon de Montfort. Comment comprendre qu'un évêché d'une importance minime, ait vu sa monnaie jouir d'une telle notoriété et son aire de circulation être aussi large, Si l'on admet pas que, fief pontifical il fut chargé de la frappe de la monnaie officielle de la Croisade que les croisés ont répandue dans les différents lieux où ils sont intervenus. Dans le même temps les adeptes de la doctrine cathare où leurs amis se servaient de la monnaie de Toulouse au type PAX.

Il faudra attendre la prise de possession du comté de Toulouse en 1249 par Alphonse de France (frère de Louis IX, marié à Jeanne de Toulouse, fille de Raimond VII) pour voir un type nouveau frappé à Toulouse, qui se trouve être le type tournois (P.A. n0 3706 à 12, Pl. 81 n0 8-9-10) signe de la mainmise des capétiens sur cette turbulente région.